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La nostalgie heureuse
--> «Tout ce que l’on aime devient une fiction»
Je sais, je suis en retard pour cette critique. J'ai lu le nouveau Nothomb il y a quelques semaines déjà, mais c'est seulement maintenant que je m'y met. Ce n'est pas que je n'ai pas aimé. Non, ce n'est certes pas mon préféré, mais j'ai encore une fois passé un bon moment à la lire. Ce n'est pas non plus dénué d'intérêt (et je me demande si finalement, c'est important qu'un livre soit intéressant...). Il s'agit d'un roman de type autobiographique où l'auteur décrit une nouvelle aventure au Japon, en 2012. Elle y est suivie par une équipe de télévision réalisant un reportage sur elle, Amélie Nothomb, une vie entre deux eaux. Elle y retrouve son ancienne gourvenante Nishio-san, personnage déjà évoqué dans d'autres romans comme Métaphysique des tubes, et Rinri, son amoureux de Ni d'Ève ni d'Adam, visite Fukushima un an après la catastrophe, repart sur les traces de son enfance dans ce pays tant adoré (et qu'elle sait nous faire adorer). Même l'école des Pissenlits. Bien entendu, le temps n'a rien épargné, Nishio-san a été abandonnée par ses filles, Rinri ne s'est jamais vraiment remis de sa déconvenue... Je pense que le hic se situe au niveau du fait que ce roman est fait pour les lecteurs assidus de l'écrivaine, qui connaissent déjà son autobiographie par cœur. C'est un peu comme un bilan sur «le Japon d'Amélie», après tout ce qu'elle nous a déjà raconté sur le sujet. Cela émouvra les habitués, mais peut-être perdra un peu les autres. C'est la première fois que je ressens cela pour un roman d'Amélie: je déconseillerais à un néophyte de lire celui-ci en premier, même si l'histoire n'en devient pas incompréhensible, on y gagne en émotion quand on sait à quel point certains personnages, lieux ou sujets sont importants. «Tout ce que l’on aime devient une fiction». Quand on demande à Rinri son opinion sur Ni d'Ève ni d'Adam, il répond que c'est «une jolie fiction». Et ma foi, c'est pas faux. Quand j'évoque Amélie Nothomb lors d'une conversation, on me dit généralement que c'est une tordue qui déraille dans ses romans «soi-disant autobiographiques», et qu'elle doit être complètement cinglée pour croire elle-même à ses propres fables. Quand on ne me dit pas qu'elle ment de manière éhontée, purement et simplement. Et que je suis bien naïve d'y croire. Et chaque fois je tente d'expliquer que je ne le crois pas vraiment. Ou plutôt, qu'il s'agit de la version d'Amélie de l'histoire, que c'est ainsi qu'elle l'a vécue et ressentie, et que ce n'est pas forcément la réalité. En fait, ça ne saurait l'être, car il y a toujours un décalage entre ce qui s'est vraiment passé et ce qu'on en a perçu. C'est comme ça pour tout le monde, et Amélie n'hésite pas à mettre sa version sur le papier, même si cette version est souvent déroutante, moi il m'a toujours semblé plausible que l'on puisse ressentir cela dans son monde intérieur. Et pour cette Nostalgie heureuse, j'interdis à quiconque de dire qu'elle invente n'importe quoi, car il s'agit sûrement de son roman autobiographique le plus terre-à-terre, le plus ancré dans la réalité. Même si on retrouve ce côté autodérisoire qu'elle a toujours eu. Extrait: «Tout ce que l'on aime devient une fiction. La première des miennes fut le Japon. À l'âge de cinq ans, quand on m'en arracha, je commençai à me le raconter. Très vite, les lacunes de mon récit me gênèrent. Que pouvais-je dire du pays que j'avais cru connaître et qui, au fil des années, s'éloignait de mon corps et de ma tête ? À aucun moment je n'ai décidé d'inventer. Cela s'est fait de soi-même. Il ne s'est jamais agi de glisser le faux dans le vrai, ni d'habiller le vrai des parures du faux. Ce que l'on a vécu laisse dans la poitrine une musique : c'est elle qu'on s'efforce d'entendre à travers le récit. Il s'agit d'écrire ce son avec les moyens du langage. Cela suppose des coupes et des approximations. On élague pour mettre à nu le trouble qui nous a gagnés.» Ecrit par Campanita, le Lundi 7 Octobre 2013, 17:16 dans la rubrique "Bouquins".
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